Les finales de "qui perd gagne"

Il est usuel de séparer une partie en trois phases: l'ouverture, où les joueurs confrontent leurs connaissances et leurs analyses personnelles, le milieu de partie, où ils sont livrés à eux-mêmes, et la finale, où à nouveau des connaissances théoriques rentrent en jeu. On parlera en général de finale dès lors qu'il ne restera plus que quelques pions sur l'échiquier. Contrairement aux échecs, ce sont en effet surtout les pions qui sont les facteurs de complexité de la position (aux échecs, on parle de finale lorsqu'il ne reste que quelques pièces).
Si vous ouvrez un manuel d'échecs, il y a de bonnes chances que le chapitre sur les finales se présente à peu près ainsi: beaucoup plus petit que les chapitres « ouvertures » et « milieu de jeu », avec une introduction qui sans le dire laisse comprendre que bon, les finales c'est un peu ennuyeux mais qu'il est malheureusement impossible d'atteindre un niveau correct sans les travailler un peu.
C'est tout le contraire sur cette page, car la finale est peut-être la phase de jeu la plus intéressante du QPG: nous verrons que des finales paraissant très simples peuvent réserver bien des surprises! L'esthète amateur de problèmes et d'études d'échecs devrait trouver son compte dans ce terrain à peine défriché.
Du point de vue pragmatique du joueur, la finale est également d'une importance capitale; entre deux joueurs de bon niveau, la partie se termine assez rarement par un nettoyage complet en milieu de partie, mais plus souvent par une finale endiablée.

En finale, les pièces ne rencontrent en général plus d'entraves et peuvent déployer leur valeur intrinsèque, c'est-à-dire grosso modo T>R=D=F>C>P. A donc en général l'avantage le camp qui possède plus de pièces - hormis les cavaliers - et moins de pions.
De ces rapports de force matériels, on peut tirer le principe le plus important de la finale, qui est d'avancer les pions le plus vite possible. Bien sûr, parfois il y a des raisons tactiques pour laisser un peu les pions en retrait, par exemple pour se préparer à une promotion adverse; toutefois la plupart des finales avec pions se résument à une course à la promotion.
Mais rien n'est plus faux que de croire la partie immédiatement terminée dès la promotion du dernier pion; il peut même rester pas mal de subtilités en présence de seulement deux ou trois pièces sur l'échiquier. Nous appellerons ces finales sans pions les finales élémentaires.
Dans les finales élémentaires, le maître mot est le Zugzwang. Il s'agit d'un mot allemand (littéralement « contrainte du trait ») décrivant la situation où le joueur au trait préférerait passer son tour, mais est obligé de jouer et d'affaiblir sa position (en général, de céder du terrain). Si aux échecs le Zugzwang est assez rare, bien qu'essentiel à savoir maîtriser, dans les finales de QPG il représente vraiment la règle. En effet, comme en finale il est presque toujours impossible de procéder par attaque directe (pas de points faibles!), pour gagner il faut pousser l'adversaire au suicide. Voici un exemple particulièrement frappant:
 

On voit rapidement que sur n'importe quel coup des Blancs la dame noire pourrait se mettre en prise; mais si c'était aux Noirs de jouer ils ne pourraient pas non plus trouver le moindre coup; donc celui des deux joueurs qui est au trait dans cette position perd immédiatement: Cela s'appelle cela un Zugzwang réciproque (jouer est un désavantage pour les deux joueurs).